mardi 3 septembre 2013

Brazil 3/14. El Cristo








L’homme reprend ses esprits. Le carnet noir l’emmène à nouveau en 
son sein. Il vagabonde un peu entre les figures et retrouve rapidement 
sa destination : la cour intérieure dans laquelle il s’était trouvé auparavant.
Il décide de retrouver les quatre personnes qui avaient tenté plus tôt 
de lui transmettre un message.
Elles sont toujours là, au même endroit et lui parlent à nouveau.
Sans en comprendre les mots, l’homme perçoit cette fois le sens de 
leurs paroles, sans savoir pourquoi. Les quatre individus lui 
demandent de les suivre.
Il n’hésite pas, ne se pose pas de question inutile et leur emboite 
le pas, avide de découvrir le but de leur destination.

Ils marchent plusieurs heures dans la ville, prennent des bus par centaines, 
s’engouffrent dans les boyaux du métro, se déplacent de station en station, 
se perdent dans les réseaux de cette cité tentaculaire. L’homme n’arrive 
plus à comprendre si son corps le porte réellement au sein des rues ou 
si seuls ses yeux voyagent entre les pages du carnet noir. Il ne parvient 
plus à faire la différence entre réalité et représentation. 
Ce n’est pas important.

C’est alors que les quatre personnes s’arrêtent. L’homme manque de leur 
rentrer dedans, perdu dans ses pensées. Il se ressaisit et regarde autour de lui.

L’endroit grouille de monde. Des milliers d’humains au sourire idiot 
posent avec bêtise devant l’objectif d’appareils photo. Ils prennent tous 
la même pose, les bras en croix, le corps statique. « Est-ce une coutume locale ? » 
se demande l’homme. C’est alors qu’il l’aperçoit.

Comment avait-elle pu lui échapper jusqu’à présent ? Monumentale, 
la statue géante d’un Christ est érigée en face de lui et surplombe avec 
dédain la foule fiévreuse tentant de happer son regard de pierre. Les flashes 
clignotants et insupportables des appareils électroniques, tenus par ces êtres si 
insipides, ne l’interpellent à aucun moment. Il reste figé dans sa pose sacrée, 
contemplant avec passion le ciel qui s’offre à son regard.







L’Homme ne peut plus supporter ce spectacle. L’humanité est ici présente 
sous sa forme la plus rebutante. Il rebrousse chemin et retrouve les quatre guides. 
« Pourquoi m’avez-vous fait voir ça ? » leur demande-il. Il ne saisit pas le sens 
de leur réponse mais il lui semble comprendre que c’était un acte nécessaire. 
Le groupe emboite le pas à nouveau, l’homme les suit. Le retour à la ville est 
douloureux, l’homme ne cesse de penser à cette statue, inondée de toutes 
ces fourmis insupportables.






L’un des quatre guides remarque sa détresse. Le groupe s’arrête et entre dans 
le bar le plus proche. Sans préambule, ils font gouter à l’homme une boisson 
inconnue, au goût fort et enivrant. L’homme boit, gorgée après gorgée, sans 
reprendre son souffle. Du liquide coule sur son visage, il ne s’en préoccupe pas. 
Ses pensées se mêlent alors entre elles, son esprit s’embrume et s’enivre. 
Il crie, hurle, rit et pleure. Il regarde autour de lui, les images se dédoublent, 
représentations de représentations. Il se perd. Tout lui paraît incohérent et burlesque. 
Il ne parvient pas à se rattacher à une image fixe et rassurante. Il décide de sortir, 
trébuche contre une table et tombe sur le trottoir. Il relève la tête et son regard 
se pose sur la silhouette d’un habitant de la ville, assis sur une chaise, contre un 
panneau de signalisation. Tout se jaunit, se flétrit. L’homme ne tient plus le choc.

Son esprit sombre alors à nouveau dans le sommeil. Il se vide de toutes les 
images qu’il a vues et emmagasinées durant la journée. Il dort profondément. 








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