mardi 10 septembre 2013

Brazil 10/14. Naviguant sur l'Amazonie






L’homme est de retour. Il s’est perdu de nombreux jours dans ce village étrange. 
Il a vécu son existence pleinement ; comme il ne l’avait jamais fait jusqu’à présent. 
Mais il a vite compris qu’il ne pouvait y rester indéfiniment. Ce n’était pas sa place. 
Y résider plus longtemps l’aurait transformé trop radicalement, aurait remplacé 
son esprit par un autre. Ce n’est pas ce que l’homme désirait, bien qu’il ne 
regrette pas son expérience dans le lieu même de la vie.

Il en sort changé cependant, il ne sera plus jamais le même, il le sait, car les 
images qu’il a vues et surtout celles qu’il a créées, avec ces villageois euphoriques, 
habiteront toujours son esprit, feront toujours partie de son être.

Mais il est temps pour l’homme d’accéder à de nouveaux lieux de représentation. 
Le carnet est ouvert à une autre page et laisse place à une nouvelle image.

L’homme est couché, son corps oscille à un rythme doux et lent. Il se rend 
compte qu’il se trouve dans un hamac. A ses cotés, l’un des guides est présent 
et semble absolument concentré sur un élément devant lui que l’homme ne 
peut percevoir, caché par un bout de toile sombre. Il regarde à droite à gauche. 
Des deux cotés, les visions sont similaires. Des dizaines d’autres hamacs, 
accrochés les uns au-dessus des autres, sur lesquels reposent les 
autres guides et des personnes inconnues.

Il se lève et marche un peu. Il tangue, sans savoir pourquoi. Cela lui laisse 
une impression étrange, comme s’il n’était pas pleinement maître de son corps et 
ses sens. Mais ce n’est en fait pas sur lui que le mouvement s’impose. C’est le sol 
sur lequel il marche qui tangue doucement mais régulièrement. Il se trouve en fait 
sur le ponton d’un bateau naviguant sur la mer.



Non … l’homme plisse les yeux. Un rivage apparaît au loin, presque transparent. 
Ce n’est pas sur la mer que flotte le bateau mais sur un fleuve si vaste 
que l’une des rives est imperceptible.

L’homme reste ainsi immobile sur le ponton et contemple l’eau quelques temps. 
Les deux rives se resserrent petit à petit, traçant un chemin plus défini. Le regard 
croise, ci-et-là des maisons sur pilotis, dressées au bord du rivage, dont les 
habitants observent avec lassitude le bateau passer, autant que les passagers les 
observent, eux. Un échange silencieux de pensées et de morceaux de vie.

Une image surgit dans l’esprit de l’homme, il ne sait pas d’où elle vient. 
Tout disparaît et devient noir autour de cette figure. Serait-ce le carnet 
qui ne contrôle plus le flux des pages ? Cela l’inquiète.
Devant lui se dresse un mur de briques, entreposées les unes sur les autres 
en un ordre arbitraire et pratique. Mais l’homme n’en perçoit pas le sens 
fonctionnel, il est face à une sculpture étrange, qui obnubile son regard et ses 
pensées. Sans bouger, il en étudie la forme mais ne parvient pas en saisir l’essence.

Devant le mur, un tissu coloré flotte étrangement. Il n’est tenu par aucun fil apparent. 
Sa présence semble impossible, inadéquate. L’homme la voit pourtant. Sa couleur 
orange, vive comme le feu, lui donne un aspect maudit, comme si elle représentait 
le fantôme d’une âme échouée, errant au-dessus de cette sculpture silencieuse. 
L’angoisse l’assaille.


Mais il retrouve vite ses esprits et ferme le carnet noir. 
Il ne pourrait supporter la vision de nouvelles images aujourd’hui.






2 commentaires:

  1. C'est sombre et coloré à la fois.
    Ton style est excellent. On peut voyager avec toi.

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